Macdonald était opposé à la démocratie, qu’il considérait comme « la tyrannie des masses »

 

 

Déjà dans les années 1830, pour le tout jeune John A. Macdonald, la doctrine « abstraite » de droits de la personne va à l’encontre de la nature même de l’Empire britannique. L’inégalité des personnes est selon lui un héritage monarchiste inaliénable. « La loi sur le droit d’aînesse est un lien fondamental entre le peuple et la Couronne et entre la Couronne et le peuple », dit-il. Macdonald fonde même une société secrète, la Société de la Vache rouge, pour ridiculiser les idées républicaines et « défendre les institutions britanniques contre le républicanisme des francophones et des Américains ». En 1840, le jeune député John A. Macdonald adhère au mouvement orangiste canadien, profondément monarchiste et loyaliste, pour qui l’autoritarisme royal est bien préférable à ce qui est considéré comme « la tyrannie démocratique ». « La liberté absolue dégénère en sédition », opine-t-on en ces milieux.

En 1864, à la conférence de Québec qui mènera à la Confédération de 1867, les délégués des différentes provinces adoptent des résolutions relevant du consensus quant à ce que devrait contenir la constitution du futur pays. La tendance va dans le sens d’une certaine décentralisation des pouvoirs, qui seraient partagés entre les provinces et l’État central. Mais cette vision déplaît grandement à John A. Macdonald, pour qui les pouvoirs devraient être concentrés dans un parlement central fort qui soit le plus possible à l’abri du pouvoir démocratique, qu’il considère comme un mouvement dangereux.

À cet effet, puisque le tout jeune Canada ne possède pas d’aristocratie héréditaire, comme la noblesse anglaise, Macdonald souhaite la création d’une aristocratie canadienne sur le modèle de celle de la mère patrie britannique. C’est au sénat que Macdonald rêve d’établir cette aristocratie non élue ayant préséance sur la chambre des députés et donc, sur « la tyrannie des masses ». À la conférence de Québec, Macdonald déclare même : « Nous devrions avoir un gouvernement fort et stable sous lequel nos libertés constitutionnelles seraient assurées, contrairement à une démocratie, et qui serait à même de protéger la minorité grâce à un gouvernement central puissant ». Et Macdonald identifie clairement cette minorité menacée : « Nous devons protéger les intérêts des minorités, et les riches sont toujours moins nombreux que les pauvres. » Ce sont donc les intérêts des grandes fortunes privées que Macdonald veut protéger contre cette fameuse « tyrannie des masses », soit le suffrage universel, qu’il considère comme « un des plus grands maux qui puissent frapper le pays ».

Le politologue Jean-François Caron ( ledevoir.com ) remet bien les pendules à l’heure quant au peu d’enthousiasme de Macdonald à l’égard du fédéralisme plutôt qu’à un régime unitaire. Il explique notamment qu’après la conférence de Québec de 1864, Macdonald manigança afin de privilégier sa vision plutôt que celle des résolutions adoptées par les délégués à la conférence. C’est particulièrement le cas du pouvoir résiduaire, c’est-à-dire la juridiction sur tous les domaines que la constitution n’accorde ni aux provinces ni au gouvernement central, par omission ou parce qu’il s’agit de futurs domaines inexistants à l’époque (les télécommunications aujourd’hui, par exemple). « Ce n’est qu’une fois à Londres que l’entente initiale fut profondément modifiée et que le pouvoir résiduaire est devenu une force constitutionnelle favorisant la centralisation. Ce changement est largement attribuable à Macdonald qui, afin de faire prévaloir sa vision, aurait mis à profit son influence auprès des autorités londoniennes pour changer les règles du jeu à la dernière minute. [Le député conservateur québécois] Hector-Louis Langevin, qui était un délégué à Londres, avait d’ailleurs soulevé dans sa correspondance son exaspération de devoir surveiller Macdonald dans ses tractations avec les Britanniques afin de l’empêcher de modifier les résolutions de la Conférence de Québec au profit de solutions favorables à la centralisation du régime. »

Le premier ministre John A. Macdonald a accepté un pot de vin de l’équivalent d’un million $ en dollars d’aujourd’hui et Stephen Harper voudrait que nous en fassions abstraction pendant toute l’année 2015.

À la lumière de tout ce qui précède, le monarchisme débridé de Stephen Harper est tout à fait compatible avec l’orangisme façon 19e siècle de John A. Macdonald. Le 11 janvier dernier à Kingston, le lancement des festivités du bicentenaire par M. Harper a été précédé par l’hymne national Ô Canada et… le God Save The Queen britannique! (CBC News) Il est donc étonnant que d’anciens premiers ministres progressistes-conservateurs tels Joe Clark, Kim Campbell et Brian Mulroney, et même d’ex-premiers ministres néodémocrates et libéraux comme Bob Rae, John Turner, Jean Chrétien, Paul Martin et Jean Charest (ce dernier cas étant hybride) aient accepté d’être les commissaires honorifiques de ces douteuses festivités.

Il est même préoccupant que dans ses irrépressibles élans de « nation building » entourant ce bicentenaire, le gouvernement Harper ait financé, par le biais de Patrimoine Canada, la création de sites Internet de propagande identitaire pro-Macdonald destinés aux écoles canadiennes. Les sites www.sirjohnaday.com (en anglais) et www.journeesirjohna.com (en français) ont toutes les allures d’une opération d’endoctrinement de nos enfants.

Aujourd’hui, demander aux Québécois et aux Canadiens de célébrer le père fondateur du Canada, John A. Macdonald, c’est ni plus ni moins leur demander d’adhérer au monarchisme de Stephen Harper!